Philosopher pour une éthique des Ressources Humaines...

Claire Courroyer et Pierre Ferrère créateurs de Philocoaching m’ont interviewé récemment sur le thème de la philosophie alliée au coaching en entreprise.

Dans un premier temps je me suis demandé ce que j’allais pouvoir dire sur un tel sujet, les questions de Claire ont ouvert la voie à la réflexion sur la place de la pensée chez les dirigeants.

A un moment où le monde se transforme notamment avec l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la vie des entreprises et dans notre vie tout court, l’humain devrait conserver toute sa place avec ce qui nous différencie de la machine, nos facultés cognitives, notre esprit critique, notre empathie ou notre charisme.

Parmi toutes ces facultés, celle de penser est essentielle. Pourtant le temps de la pensée est plus rare quand il faut réfléchir sous la pression de tous les enjeux, du temps, de la finance, de l’ambition des objectifs parfois irréalistes et le but n'est pas le chemin.

Penser et réfléchir ne doivent pas se confondre, l’un et l’autre ne sont finalement pas interchangeables.

Si la réflexion est toujours présente, elle est nécessaire pour agir, l’entreprise étant un lieu permanent de l’action, mais quelle place pour penser ?

Il me semble que l’exigence de l’urgence et de l’immédiateté nous place beaucoup trop dans les temps courts quand penser nous amène plutôt sur un temps long.

L’idée d’introduire la philosophie dans l’entreprise me paraît pertinente par cette exigence qu’elle porte en elle-même : questionner, se questionner, questionner son écosystème pour se mettre à la bonne distance.

D’où l’extrême importance des sciences sociales et humaines comme l’histoire, la sociologie ou la philosophie.

La question est finalement plus importante que la réponse, j’ai toujours constaté dans mon parcours de DRH que les meilleurs talents étaient ceux qui savaient questionner avec intelligence, parfois impertinence et surtout avec éthique.

A ce sujet la détestable séquence de l’émission de France 2, Envoyé Spécial, interrogeant ce DRH (l’est-il vraiment ?) débordant de cynisme montre combien l’absence de questionnement et d’éthique conduit à ces dérives inacceptables voire condamnables.

Au-delà de la recherche récurrente du sensationnalisme dans ce genre d’émission, ce témoignage particulièrement choquant est bien loin d’exprimer toute la dimension complexe du métier RH.

En quarante-cinq ans de pratique je n’ai jamais agi de la sorte comme bon nombre de mes collègues qui s’emploient courageusement à construire un environnement humain de qualité bien que soumis à de fortes contraintes.

Ainsi penser c’est exercer son sens critique, remettre en doute son savoir, mettre en œuvre sa conscience et exciter son esprit.

C’est bien sûr réfléchir mais à un autre niveau, c’est s’élever, prendre du recul mais aller aussi en profondeur et parfois questionner les évidences.

Réfléchir c’est travailler dans sa tête quand penser c’est avoir une idée qui arrive dans sa tête, l’accueillir, la sentir, la préserver, lui donner de l’attention, la nourrir et la faire prospérer en étroite articulation avec ses valeurs personnelles.

Penser c’est introduire de la distance avec le sujet mais aussi avec soi, c’est d’ailleurs ce que nous essayons de faire quand nous accompagnons ou coachons un dirigeant en lui offrant un autre espace que celui de son quotidien fait de réflexion-action.

Finalement dans l’acte de penser, il n’y a pas de vrai travail mental et c’est souvent ce qui dérange et perturbe le dirigeant qui estime qu’il pas ce temps à perdre.

Il y aurait comme une certaine futilité à consacrer du temps à penser puisque le flot de pensées est continu. C’est quand on rencontre un problème ou une contrainte que l’on va réfléchir à une solution mettant le temps de la pensée en pause pour installer celui de la réflexion.

Réfléchir pour trouver une solution, pour sortir de l’état de doute, raisonner et construire. On nous a appris à réfléchir, chaque problème devant être bien posé, expliqué et compris. On nous a aussi demandé de livrer une solution, la bonne ! celle-ci se situant trop souvent dans le cadre du connu, peu de fantaisie. On ne déborde pas du cadre.

Penser c’est introduire du rêve, vagabonder dans l’émotion, l’imaginaire. C'est gagner en liberté, libre d’aller chercher dans l’univers…

« Se penser comme un point dans l’immensité de l’univers » disait Bergson dans son dernier ouvrage Les deux sources paru en 1932.

La pensée est alors plus abstraite et l’acte de penser n’apporte peut-être pas de solution immédiate mais il inspire, il ouvre l’intuition, on sort du convenu, de ce qui tombe sous le sens, on accepte des idées inattendues, on s’aère…

Pascal et Cocteau réunis nous disent avec humour que les roseaux pensent et que les miroirs réfléchissent…

Penser nous permet de rechercher et d’entretenir un état d’esprit disponible à ce qui n’est pas immédiatement accessible au-delà de ce qui ne tombe pas immédiatement sous nos sens, ni voir, ni entendre, ni sentir, ni toucher.

« Tu es dans la lune ! » nous disait-on quand nous étions enfants. Comme si cette errance dans l’ailleurs n’était pas permise. On ne doit plus s’ennuyer dans notre époque. On ne doit pas perdre du temps.

Je lisais récemment que le patron de Victoria Secret, Leslie Wexner s'est inspiré de l’étal d’un fleuriste à Paris pour une présentation dans ses magasins, bel exemple de vagabondage de la pensée.

Pour conclure, le président de Roland Berger vient de publier un ouvrage dont le titre interpelle : La chute de l’Empire humain. Au-delà du titre accrocheur qui ne représente pas tout l’intérêt du contenu du livre sur le futur de l’intelligence artificielle, je crois encore et pour longtemps à la nécessité de penser la dimension humaine qui devrait rester au cœur de toute décision stratégique y compris dans les conseils d'administration, mais aussi de tout acte managérial, particulièrement les plus difficiles, pour lesquels respect, éthique et intégrité feront toujours la différence sur le long terme.

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