Pour que le management agile ne soit pas une posture

Le point de vue de Laurence Borde, Nathalie Dupuis-Hepner et François Potier (tribune parue dans Les Echos du 16 février 2016)

Des colosses, finalement aux pieds d’argile, ont chuté sous les yeux ébahis du marché. Leader mondial du mobile, Nokia a raté la déferlante du smartphone et Blackberry, inventeur du « data on the move » est resté en rade. Durant la même décennie, des géants comme Facebook, Google ou Zappos ont surgi d’un garage. Quoi de commun derrière ces extrêmes ? L’agilité ou son absence. Cette vertu désormais cardinale de l’entreprise s’applique à la stratégie, à l’organisation, au management et aux méthodes. Ce mot-tiroir recouvre à la fois la souplesse et l’adaptabilité. Mais au-delà du concept à la mode, dont le management est friand, la façade se lézardera chez ceux qui n’auront pas mesuré la profondeur de la remise en cause nécessaire et qui se contenteront de quelques changements de pratiques opportunistes.

Dans cette affaire, c’est la survie des organisations qui se joue. Deux phénomènes disruptifs ont émergé. D’abord, l’environnement d’imprévisibilité et de chaos. Dans les entreprises, tout n’est que « volatilité, incertitude (uncertain), complexité et ambigüité » (« VUCA » dans le discours militaire anglo-saxon). Ensuite, la désaffectation profonde de quatre employés sur cinq (sondage Deloitte et Gallup) qui se traduit par un manque d’engagement au travail. La conséquence est irréversible : face à l’extrême changement, le modèle traditionnel de management, basé sur le taylorisme et une structure bureaucratique, jette ses derniers feux.

Quand l’accélération l’emporte sur la vitesse, l’équilibre subtil entre innovation et production durable se gagne dans l’agilité. En embrassant les méthodes venues de la « Tech », des entreprises infusent cette agilité dans leur modèle économique. A Snowbird (Utah) en 2001, les pères éclairés de l’Agile Manifesto en avaient gravé les principes fondateurs : primauté des interactions ; auto-organisation des équipes au fil de l’eau, où se combinent prise d’initiative, retour en boucle continue (« feed-back loop ») et travail en laps de temps courts (« sprints ») ; co-évolution du produit, amélioré par itération pour enchanter le client placé au cœur du dispositif ; capacité à travailler à la frontière du chaos. A l’instar d’Amazon, Netflix, Pixar ou Tesla, elles naviguent entre l’aléatoire et un équilibre mouvant.

L’agilité, c’est avant tout une mentalité en rupture et un savoir-être qui doit s’ancrer dans les fondations de l’entreprise. Impossible d’y basculer à moitié. Parsemer le système de pratiques de feed-back, de 360 degrés ou d’open-innovation ne suffit pas. Tout le monde plonge (le leader, les managers et les collaborateurs), sinon c’est la sortie de route assurée. L’organisation qui s’y frotte invente une réelle ingénierie du savoir, qui révèle l’intelligence collective, seul moyen d’affronter la complexité au plus près du terrain. Le leader est le passeur qui permet l’émergence de ce nouveau comportement et l’animateur de la performance collective. Pour relever le défi, ce « scrum master » (chef de bande) doit lâcher prise, se dépolluer, se déconstruire et perdre toute forme d’arrogance. Son risque ? S’accrocher à des certitudes qui ont cessé d’être vraies. Lorsque l’agilité a infiltré les états-majors, des pratiques et des outils sont mis en œuvre, qui valorisent le talent plutôt que les compétences, favorisent la recherche du progrès et célèbrent le changement.

Toutes les entreprises ne seront pas élues. Et pour cause ! Se battre contre la force d'inertie des organisations, le poids des egos, le confort des silos, le besoin de sécurité individuel demande le courage de se délester de nombre de ses croyances et convictions. Poser le pied sur le fil tendu de l'agilité, c’est accepter, comme le funambule, un engagement radical, une prise de risque et une communication réinventée et productive. Autant de transformations profondes qui mettent du temps à infuser. Mais l’hésitation n’est pas permise, qui fait facilement glisser dans le vide.

Lire sur LesEchos.fr
Archives des publications