Philosopher en entreprise

Mes amis Claire Courroyer et Pierre Ferrère créateurs de Philocoaching m'ont demandé d'ouvrir leur conférence expériencielle hier. Voici les quelques idées que j'ai voulu partager avec l'assistance pour introduire ce moment passionnant :

Le rapport Senard/Notat a introduit un vif débat sur la raison d’être de l’entreprise : quel sens, quel pourquoi ? Il a aussi montré la ringardise du MEDEF peinant à s'inscrire dans le monde nouveau.

Mais finalement posons nous aussi cette question plus personnelle: "quelle est aussi ma propre raison d’être ? "

J’ai connu Pierre et Claire dans deux vies différentes, Pierre chez PPR dont j’étais DRH du Groupe et Claire dans le monde du conseil quelques années plus tard.

Il y a peu de temps, ils me demandent de parler de philosophie et veulent m’interviewer.

Quoi dire ? Perplexité ! Les questions de Claire ont ouvert la réflexion.

Au cours de mes accompagnements, je constate souvent que le dirigeant se définit essentiellement par ce qu’il fait et plus rarement par "QUI il est".

Cette question du "QUI je suis" est bien sûr dérangeante, la réponse n’est pas évidente, il faut s’arrêter, se poser, venir et revenir dans ce processus intime sans avoir d'ailleurs de réponse définitive.

De nouveaux espaces vont s’ouvrir, d’autres vont se fermer pour tenter d'être au clair avec ses fondamentaux, ses essentiels, ses intouchables…

Chercher la question, l’accepter c’est déjà faire un pas de philosophe, c’est oser déranger son confort personnel, ses habitudes et l’habitude c’est ce que l’on a cessé de voir…

Questionner et se questionner c’est aussi éclairer ses émotions, vous savez celles qui ont du mal à entrer dans les entreprises... dont on parle peu...

Les émotions ne se gèrent pas, ne se maitrisent pas, elles se reconnaissent et se nomment pour vivre avec, elles nous accompagnent, nous éclairent.

Nous savons bien que pour agir nous réfléchissons beaucoup, c’est indispensable et nécessaire mais finalement pas suffisant.

Réfléchir nous maintient dans le temps court, dans l’urgence et l’immédiateté pour trouver LA solution.

Pourtant le but n’est pas le chemin et réfléchir n’est pas penser.

Penser nous amène sur le temps long, l’incertain, le silence, le vide, le rêve, nous fait prendre des chemins de traverse et ceux-là sont souvent les plus intéressants.

Penser c’est vagabonder parfois sans but, questionner et se questionner, s’ouvrir au monde et surtout à son monde intérieur.

Ce temps est si rare, on se précipite, on va vite, on court d’un sujet à l’autre, d’une réponse à l’autre…

Il m’arrive d’emmener parfois un dirigeant à une exposition, juste pour s’arrêter, voir, ressentir, laisser venir la pensée.

Comme il m’arrive souvent de demander après une séance d’accompagnement de ne pas se précipiter dans l’immédiat des impératifs à traiter mais de se poser dans un café, d’aller chercher la dernière goutte, ce qui reste, la petite chose que je vais changer là tout de suite…

L’exercice est souvent redoutable par l'inconfort et le dérangement qu'il induit.

Selon moi, le vrai leader c’est celui qui se déconnecte, celui qui passe du savoir au comprendre, qui accepte de « déposer son armure » comme cette conférence va vous y aider, celui qui accepte de s’exposer à l’inconfort de l’inconnu qu’il va questionner, celui qui accède à une certaine légèreté…

Celui qui, comme l'aérostier, sait qu'il faut lâcher du lest pour s'élever, qu'êtes vous prêt à lâcher pour gagner en hauteur de vue, pour ouvrir vos horizons avec bienveillance ?

Un jour un dirigeant m’a confié que c’est quand il avait décidé de ne plus avoir peur que sa vie avait vraiment changé…

Le grand chef d'orchestre Von Karajan disait que l’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l’orchestre…

Et pour moi le vrai leadership c’est ce qui se passe quand vous n’êtes pas là… Qui réfléchit à son empreinte, à sa légende?

Penser l’humain reste un grand défi si souvent absent des grandes stratégies des conseils d'administration ou des Comex centrées sur l'opérationnalité financière trop souvent brutale avec ses injonctions paradoxales.

Je suis souvent inquiet de ce que je vois en entreprise où les procédures sans âme s'imposent, où je vois grandir la fracture entre les lieux de pouvoir désincarnés et le management de proximité confronté, lui, à la vraie dimension humaine du travail.

Je ne peux pas m'empêcher de me demander que sont devenus les DRH dérangeants et impertinents capables de sortir des strictes exigences des normalités légales qui s'imposent certes mais qui ne font pas l'essentiel de la fonction. Le DRH doit être l'animateur de cette pensée humaine qui fait tant défaut dans les lieux de pouvoir.

Voilà pourquoi je crois toujours et plus que jamais à l’utilité des sciences humaines en entreprise, la philosophie possède notamment un immense potentiel d’aide pour penser son action, les choses bougent lentement et c'est encourageant de voir une initiative comme celle de Philocoaching.

On n’a jamais autant parlé de philosophie, même un magazine comme Forbes en vante l’intérêt pour les conseils d'administration.

Je crois à cette démarche conjointe et originale de la philosophie et du coaching en entreprise que mènent Claire et Pierre, je la soutiens et l’encourage, j'en vois clairement la pertinence pour les dirigeants et leurs équipes, c'est une belle marque d'espoir pour l'avenir.

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