Où est le goût des autres ?

Le contexte que nous connaissons s’apparente à une vraie tourmente qui bouscule profondément un ordre établi, accentue encore la tension d’un climat social difficile et éclaire plus crûment ce phénomène nouveau du désengagement des salariés. Ce qui est préoccupant c’est que ce désengagement touche également la population de l’encadrement traditionnellement plus discrète.

Ces nouvelles violences sociales témoignent d’un éclatement des codes sociaux implicites et expriment l’incompréhension et le désarroi des salariés surtout ceux qui agissent loin des centres de décision.

Cette prise de distance progressive avec l‘entreprise a de multiples causes qu’il faut sans doute analyser cas par cas ; il n’y a pas de modèle général. Il y a simplement ce que l'on est capable de faire à un moment donné: les réponses à apporter nécessitent, outre un diagnostic fin, une réflexion adaptée pour trouver des voies originales, pragmatiques qui tiendront compte des valeurs, de la culture, de l’histoire, de la maturité des équipes, du management intermédiaire et des métiers de l’entreprise. A ce sujet, j'insisterai encore plus sur l'engagement indéfectible du dirigeant de premier rang qui est une des clés principales de réussite.

Ce qui me paraît une cause importante à ce désengagement, c’est l’énorme déficit d’exemplarité du management, à commencer par les dirigeants et l’encadrement supérieur.

La langue de bois aura finalement fait beaucoup de ravages sur la chaîne de confiance nécessaire pour installer un management de qualité. Des promesses parfois inconsidérées ont été tenues sans qu’elles puissent être relayées dans les actes par le management de proximité trop souvent largué par des stratégies obscures.

L’éloignement du pouvoir, des actionnaires, des COMEX et CODIR est aussi une cause à ce désengagement. La distance s’est accrue avec le terrain, le dirigeant étant bien souvent invisible, ne décidant qu’à travers une batterie d’indicateurs désincarnés issus de la finance et du contrôle de gestion. Ceux-ci peinent à refléter la réalité vécue sur les lieux de production. Le lien social s’est fréquemment rompu par manque d’écoute, de respect, de curiosité et de considération.

Cet aspect se renforce par la rotation accélérée des équipes. Comment construire pas à pas des politiques de long terme pour faire évoluer les comportements quand on a une visibilité de 2 à 3 ans devant soi et que l’on sera jugé essentiellement sur des critères financiers à rentabilité immédiate ?

Il faut alors réhabiliter le management et la relation humaine (le « R » de ressource du DRH pourrait bien revenir à relation...). Il faut redire l’importance du « goût des autres » et le reconnaître dans l’évaluation et la rétribution.

Il y a un véritable ADN de l’entreprise qui réside dans son climat interne, son style, ses codes, ses rites qui expriment une forme de bien être qui soutiendra enthousiasme et engagement sur le long terme. Cet ADN ne s’exporte pas....

Le climat de non-dit, voire de peur, que j’observe maintenant en qualité de consultant accompagnant des dirigeants de différents niveaux est une véritable menace pour l’efficacité à terme. La mémoire des hommes sera tenace en fonction de ce qu’ils observent et vivent actuellement dans leur quotidien. Le choc des désillusions sera rude dans quelques années.

Arrêtons de parler de crise, nous sommes dans une vraie rupture. Cela signifie qu’il faut trouver d’autres voies, réfléchir différemment, décentrer son regard, pour paraphraser le titre d’un film sorti il y a quelques années, le code a changé !

Nous ne ferons pas demain comme hier, c’est à cela qu’il faut préparer les dirigeants, le management et les équipes. Il faut du temps, des convictions, du courage pour lutter contre les idées reçues ou une certaine forme de bien pensance et se mettre en capacité de faire des paris en prenant des risques sur le talent humain, les seuls gratifiants à long terme.

François POTIER

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