Dessine moi une Politique RH...

Beaucoup d’efforts ont été engagés dans les entreprises pour promouvoir la diversité et l’égalité. Pourtant cette démarche ne va pas de soi. Constatons que le sujet progresse encore peu malgré les injonctions et des contraintes de plus en plus pressantes des pouvoirs publics et des parties prenantes.

Je me souviens dans les années 1980 avoir été confronté dans le BTP aux premiers chantiers en zone réputée difficile. L’entreprise ne pouvant faire l’impasse sur son environnement direct, il fallait alors construire un volet social visant à embaucher et intégrer des jeunes des quartiers où devaient se réaliser ces constructions.

Des jeunes parfois déscolarisés et en situation de rupture avec la société. Cette opération d’insertion aura été particulièrement difficile à monter. De nombreuses résistances sont apparues et l’affaire s’est montrée beaucoup plus complexe et délicate à conduire même si au final nous avons appris énormément alors que les résultats ont parfois été mitigés. Il y eut de belles réussites mais aussi de pénibles échecs.

Le premier obstacle venait du changement de politique imposée à l’entreprise qui traditionnellement recherche excellence et efficacité avec des équipes performantes. Il allait falloir accueillir pour ces chantiers des salariés parfois bien éloignés des standards habituels.

Les accepter, les comprendre, les préparer et les intégrer aux équipes existantes tout cela représentait un certain choc culturel voire émotionnel aussi bien pour les équipes d'acceuil que pour les managers . Ceci était particulièrement difficile quand on se trouvait face à des formes de désocialisation.

Cette opération nécessitait une longue préparation, de la pédagogie, de la formation et la prise de conscience d’une évolution nécessaire dans la culture de la performance à laquelle nous n’étions pas préparés.

Le second obstacle se trouvait dans l’encadrement qui finalement s’intéressait peu à cet aspect des choses à l’époque même si certains plutôt au niveau de la maîtrise ont pu s’engager dans le processus avec beaucoup d’énergie et de cœur. Ceux là se souvenaient sans doute de leur propre origine et par où ils avaient dû passer pour être reconnus.

Ils auront été exemplaires d’engagement. Je veux dire que l’obstacle se trouvait dans les têtes, dans les représentations et les stéréotypes que chacun pouvait se faire de cette intégration de personnels si différents des standards.

Je crois que l’on ne peut pas faire l’économie de poser cette problématique, de la questionner sous tous ses aspects même si cela dérange voire indispose y compris soi-même. Il faut alors beaucoup de temps, d'humilité, de hauteur de vue, de patience, d’explication, de verbalisation des peurs et du non–dit pour progresser.

L’adhésion à une telle politique mérite aussi d’être vérifiée et nourrie tout au long du processus en y étant particulièrement attentif tant sur le plan conscient qu’inconscient.

Il faut bien comprendre que si la formation du management est incontournable c’est bien la prise de conscience d’aller vers d’autres attitudes que celles encouragées par sa propre éducation ou son système de pensée qui est essentielle.

Manager la diversité se fait plus par les actes sur le terrain et sans doute moins par des injonctions venues d’en haut, celles-ci restant toutefois nécessaires pour définir le cadre et les objectifs.

Mettre en place une telle politique demande du soutien, de la conviction, des budgets adaptés et un engagement indéfectible de la direction sur la durée en ayant la volonté de revisiter ses pratiques de gestion des Hommes.

Pour poursuivre les exemples, dans les années 2000, au sein de PPR nous avions décidé de nous engager dans une politique volontariste de diversité dans toutes ses composantes.

L’acte fondateur aura sans doute été la signature, parmi les premiers, de la charte initiée par Claude Bébéar qui a permis d’engager le Groupe et ses filiales en rendant visible cet engagement.

J’ai pu observer le même type de réserve voire de réticence chez quelques dirigeants pour consacrer du temps et de l’énergie à cette politique comme si la performance économique et le progrès social étaient incompatibles.

Il s’agissait d’aborder toutes les diversités et pas seulement de lutter contre les discriminations ethniques. C’est à dire travailler sur le handicap, les seniors, la place et l’évolution des femmes dans la structure managériale, la solidarité dans la Société avec notamment la création d’un programme original de soutien aux internats pour permettre de faire fonctionner l’ascenseur social qui allait donner naissance à la fondation Télémaque.

Cette politique a largement porté ses fruits et contribué à construire la marque employeur du Groupe. Elle a été possible grâce à l’engagement indéfectible et communiqué de Serge Weinberg, Président du Directoire, et à l’intégration systématique de cet enjeu dans toutes les politiques RH de filiales.

Ceci s’est traduit par des objectifs, un suivi, un contrôle de la mise en œuvre par les dirigeants et le management.

C’est l’ensemble du système de gestion des Hommes qui a dû être interrogé : recrutement, formation, gestion des carrières, politique de rémunération, repérage des potentiels etc.

Nous avions confié au préalable une mission d’audit de nos pratiques à l’IMS. Cet audit a été particulièrement instructif. Il a révélé des processus dont nous n’avions pas conscience et qui pouvait freiner la diversité. Ces audits extérieurs sont nécessaires à la compréhension des obstacles cachés ou inconscient, ils fournissent des pistes de réflexion et de travail.

Tout cela peut paraître évident et finalement assez logique mais les freins subjectifs sont assez nombreux et parfois difficiles à identifier car nichés dans les préjugés, représentation et codes formatés dans le temps par l’éducation et l’expérience.

A ce titre la France reste un pays de reproduction des élites et de clonage. La différence peut déranger, on se méfie de l’altérité et de ce qui ne nous ressemble pas.

J’ai même le souvenir de la difficulté d’accueillir et d’intégrer une jeune américaine dans l’équipe RH du Groupe. Sa différence de culture, de langue, son parcours personnel et professionnel international venaient perturber les zones de confort.

Elle même faisait le constat à l’époque du manque d’ouverture de la Société française en observant que peu de famille acceptait de partager une part d’intimité qui permettrait de mieux comprendre les codes du pays.

La nomination d’un Suédois à la tête d’une filiale traditionnellement ancrée dans le modèle français n’a pas été plus simple, c’est l’ensemble de l’équipe dirigeante de la filiale concernée qui avait été profondément dérangée dans ses habitudes.

Faire admettre un jeune stagiaire Marocain au sein d’une des directions du siège du Groupe a nécessité un passage en force pour l’imposer contre de fortes réticences liées à des représentations et stéréotypes tenaces.

Là encore cela ne va pas de soi, il faut une forme d’audace pour remettre en cause une sorte d’ordre établi de façon implicite.

Dernier exemple, il aura fallu de nombreuses années à la CFAO pour faire progresser en son sein des cadres Africains tout au long de la ligne managériale. Il n’a pas été aisé de vaincre avec le temps une immense culture de préjugés issue du passé de l’entreprise et entretenue implicitement et commodément par les plus anciens.

Faire bouger les lignes n’a été possible qu’avec des politiques volontaristes comprenant objectifs et instruments de mesure afin d’en suivre l’avancement. Il faut juste montrer que c’est possible et accessible.

Les efforts d’entreprises pionnières relayés par ceux d’organismes comme l’AFMD ou Equitylab pour promouvoir l’idée d’un rapport annuel sur les diversités, en proposant d’instituer une mesure là où c’était jusqu’à maintenant impossible devraient accélérer le processus de mise en œuvre de ces politiques engagées depuis une dizaine d’années.

Le vocabulaire gagnerait aussi à être plus positif. Nous ne sommes pas en guerre. Plutôt que de lutter contre les discriminations pourquoi ne pas parler de respecter les différences.

Intéressons-nous plus à tout ce qui se réalise y compris aux plus petits efforts. Evitons de stigmatiser ce qui ne va pas, ce vieux mal français.

Rappelons l’importance de l’éducation, de l’école, de la famille et de l’expérience de la vie pour que chacun se sente partie prenante de cette ouverture à l’autre. Où sont les leçons de Morale de l’instituteur d’antan ?

Elles étaient finalement bien utiles pour se forger un esprit de tolérance et d’ouverture. Moi-même d’origine métisse, ma mère est guadeloupéenne, j’ai des souvenirs très précis de l’exigence de tolérance et de respect de la différence qui marque à vie.

La France est pourtant un pays de brassage multiculturel depuis bien longtemps, la valeur d’égalité inscrite au fronton de la république ne devrait pas être ignorée comme celle du talent et du mérite issu de son travail.

Pour conclure, aborder la diversité dans l’entreprise revient très vite à travailler de nombreuses réalités différentes qu’il faut savoir reconnaître comme par exemple d’accepter que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas nous en moins âgés !

Les mentalités, les modes de pensée, les façons de voir et de vivre le monde sont plurielles, elles ne sont certainement pas les nôtres et nous interpellent quand elles ne nous dérangent pas. C’est stimulant pour peu que l’on accepte le débat et la remise en cause des idées reçues, c’est bien le rôle de toutes ces politiques que d’engager la réflexion et mettre en mouvement postures et comportements dans ce sens.

Pour un dirigeant, manager la différence c’est créer les conditions pour permettre à l’environnement de travail d’être suffisamment ouvert et tolérant avec ce qui ne lui ressemble pas.

Témoignage paru dans: « L’encyclopédie des diversités » sous la direction de Jean Marie Peretti – février 2012 - Editions EMS Management & Société

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