Etre DRH, la passion des Hommes *

Bouygues et l'importance des Hommes :

Après des études universitaires qui n’étaient en rien orientées vers les ressources humaines (on disait à l’époque : fonction personnel), j'ai débuté dans la Formation où j'ai découvert l'importance de l'écoute, de la compréhension, de la prise en compte de la situation présente de la personne pour la faire grandir mais aussi de la pédagogie pour rendre accessible la nouveauté ou la complexité.

Après quelques années dans la distribution et les grands magasins, je suis entré chez Bouygues. Le choc d’un univers de métiers très différents associé à une culture puissante où les ressources humaines n’ont de sens que proche du terrain allait s’avérer rude mais très formateur.

C’était l’époque Francis Bouygues, patron visionnaire, emblématique, hors normes, exigeant, rude au contact qui donnait l'exemple de l'énergie, de l’engagement personnel, du travail et du respect des hommes particulièrement de ses ouvriers.

Très près des compagnons, il les considérait presque plus que ses hauts dirigeants qui souvent pouvaient se faire malmener sans ménagement. Il m’en reste aujourd’hui la leçon de ne jamais perdre le lien entre le centre de décision et la réalité opérationnelle de l’entreprise. Francis Bouygues attachait une grande importance à la compétence et surtout au talent et à la qualité des Hommes, particulièrement de la maîtrise. Pour lui la fonction ressources humaines était garante du bon fonctionnement humain de l’entreprise, elle était reconnue, très opérationnelle, il la voulait proche des chantiers et des opérations que celles-ci soient en France ou à l'international.

Une réalisation parmi d’autres m'est restée en mémoire, la construction de la mosquée de Casablanca. Alors que les travaux étaient avancés, le Roi, venu les inspecter a réalisé que le minaret n'était pas assez haut ! Il a exigé une surélévation de près de la moitié de la hauteur existante.

Bien sûr cela entraînait pour les fondations une surcharge inacceptable. Il a fallu entièrement reprendre celles-ci en sous-œuvre, une tâche délicate, complexe et onéreuse. Vous pouvez admirer maintenant ce minaret face à la Méditerrannée.

Ainsi toute construction devrait posséder dès le départ une base suffisamment solide pour pouvoir supporter les inévitables aléas ou imprévus.

Plus l’ambition est forte, plus les fondamentaux doivent être solides, particulièrement ceux qui touchent aux Hommes. L’humain qui devrait être toujours placé comme enjeu préalable et incontournable en amont des décisions est peut-être la seule vraie limite pour le développement d’une entreprise.

J'ai souvent médité cet exemple et utilisé par la suite cette image pour faire réfléchir les managers sur la nécessité d'anticiper l'enjeu humain et d'y consacrer les moyens nécessaires et de le préparer suffisamment en amont. Le temps humain n'est pas le temps financier, il est plus lent et long.

Chez Bouygues on apprenait très vite qu’être DRH suppose un engagement personnel indéfectible, de fortes convictions, une grande disponibilité voire une espèce d’abnégation au service d’un intérêt supérieur porté par la culture «minorange ».

Je dois dire que c'est dans ce Groupe que j'ai tout appris de ce métier, acquis les postures essentielles, l’aptitude à anticiper et relativiser, le goût du terrain et de la confrontation avec une réalité parfois dérangeante tout en tenant ses positions.

En dix sept ans j'ai eu la chance d'y réaliser une carrière multiple qui m'a exposé aux principaux défis de la fonction qu’ils soient stratégiques, politiques ou opérationnels.

L’envie de conduire moi-même une politique pour un grand groupe à la culture plus ouverte devait m’amener à quitter Bouygues non sans émotion.

L'aventure Pinault Printemps Redoute :

Sans doute une forme d’inconscience m’a-t-elle propulsé dans un tout autre univers dont j’allais mesurer très vite la complexité et l’exigence.

Un changement de taille et d’enjeu qui allait faire naître un véritable complexe d’imposteur chez moi. Etais-je vraiment capable de définir et piloter la politique humaine d’un groupe du CAC 40 ?

Tout d’un coup les nuits allaient vite devenir plus longues que les jours !

Ainsi le groupe de François Pinault allait m’accueillir, recruté par Serge Weinberg, Président du Directoire, comme DRH Groupe avec une feuille de route assez simple qui avait été formulée en quelques mots par François Pinault: « faire en sorte que jamais les problèmes humains ne viennent contrarier le développement du Groupe ».

J'ai le souvenir que Serge Weinberg m’a finalement peu vu pendant les premiers mois suivant ma prise de fonction. J’ai commencé par aller à la rencontre de la situation humaine et sociale des entreprises. A l’époque, le Groupe PPR était considéré comme un conglomérat rassemblant distribution grand public et distribution professionnelle. Les différentes enseignes de PPR avaient une certaine tendance à s'ignorer et communiquaient peu les unes avec les autres, chacune restant sur son métier en ne voyant pas immédiatement l’intérêt d’une approche de groupe.

Il y avait très peu de mouvements de personnel entre elles, certaines pouvaient avoir des difficultés de recrutement ne bénéficiant pas de l’attractivité que pouvaient avoir certaines, elles n'arrivaient pas toujours à attirer, à fidéliser et développer les talents dont elles avaient besoin.

Cette écoute du Groupe aura été fondamentale, en ce sens qu'elle a permis de dégager l'orientation de l’action à entreprendre qui allait commencer par mettre en place progressivement une certaine culture fédératrice.

Celle-ci n’allait pas se substituer ou remettre en cause les cultures des enseignes liées à leur histoire, leur vécu et leur parcours parfois de plusieurs dizaines d’années voire un siècle pour certaines. Il fallait tirer de toutes ces cultures l’essentiel autour du comportement attendu des hommes. La culture PPR devait se situer au dessus d'elles, une forme de "méta culture".

On ne transforme pas une culture, elle ne peut à la rigueur qu'évoluer lentement, il est alors intéressant d'en définir une autre au delà de celles qui existent, en les reconnaissant et en les respectant dans leurs différences.

Avec le recul, cette "meta culture" aura permis au fil des années de créer une fierté d'adhésion qui s’est révélée particulièrement puissante.

C’est sans doute dans ces premiers mois que s’est construite la confiance de Serge Weinberg avec qui s'est établie avec le temps et l’action une véritable connivence qui bien plus tard allait se transformer en amitié.

C’est assez rare, très exigeant, finalement peu confortable voire déstabilisant car si j’étais préparé au métier par ses expertises, je l’étais beaucoup moins comme dirigeant membre d'un COMEX qui nécessitait une autre stature, d’autres postures, un autre regard sur soi, une approche des sujets avec hauteur de vue tout en respectant la différence d’identité des entreprises quand il ne fallait pas faire face à l’hostilité larvée des dirigeants ou de certains DRH d'enseignes. A ce sujet, en dix ans, la plupart des DRH des sociétés ont dû être changés afin de disposer très vite d'alliés capable de mettre leur énergie au service d'une ambition commune tout en assurant la définition et la mise en oeuvre de la politique RH de leur filiale.

Le soutien sans faille de son président est essentiel pour conduire son action dans la durée surtout quand il est nécessaire de bousculer les idées reçues et de remettre parfois en cause un ordre établi ou des espaces de confort.

L'audit de la dimension humaine et sociale de PPR et les principes essentiels de ce qui allait devenir la politique de ressources humaines du Groupe ont fait l’objet de longues discussions avec Serge Weinberg sans trop savoir comment il pouvait réagir à ce premier constat sans complaisance et aux perspectives posées.

Avec son accord le parti, une sorte de pari aussi, fut pris de présenter l’ensemble sans rien omettre des aspects plus critiques ou dérangeants lors d’un tout premier séminaire de stratégie qui réunissait les principaux dirigeants des différentes enseignes de PPR.

C’est là que tout a commencé par l’adoption unanime des fondamentaux de cette stratégie ressources humaines qui allait constituer une référence pour toutes les marques du groupe. Chacune allait pouvoir s’en inspirer et décliner sa propre politique en cohérence.

Il aura fallu six ans pour la mettre en œuvre et observer les premiers résultats tangibles en veillant régulièrement à son appropriation par les dirigeants, leurs équipes et les DRH.

Le principe de subsidiarité avait été clairement posé dès le départ afin de bien définir ce qui devait relever du Groupe et des filiales.

Je retiens de cette période onze programmes clés pour mieux comprendre cette politique construite pas à pas avec le COMEX, l'ensemble des DRH des filiales et les principaux managers :

1- Changement dans la politique de rémunération des hauts dirigeants :

La rémunération des hauts dirigeants allait désormais être fondée non plus sur les seuls résultats quantitatifs de filiale, mais aussi sur les résultats de l'ensemble du Groupe d’une part et d’autre part sur quelques critères qualitatifs dont notamment leur qualité de leader et la qualité managériale de leur entreprise. Cela ne s’est pas fait facilement, il a fallu beaucoup convaincre notamment ceux qui avaient de bons résultats et qui ne comprenaient pas pourquoi leur rémunération devait dépendre aussi de la performance du Groupe. C’est avec ce premier principe que s’est forgée une nouvelle solidarité entre les dirigeants avec la prise de conscience de leur appartenance à un Groupe.

2- Appréciation annuelle des membres du Comex :

Serge Weinberg, président du directoire s’engageait dans une petite révolution en soi en introduisant le principe de l’entretien d’évaluation pour les présidents de marques et d’enseignes. Les hauts dirigeants allaient devoir comme leurs collaborateurs préparer un entretien essentiellement qualitatif sur leurs actions internes et transversales, leurs perspectives, leurs besoins et projets.

3- Définition et Construction d’un corpus d'attitudes :

Imaginées initialement par Serge Weinberg et communiquées lors de la toute première convention des dirigeants du Groupe, six attitudes étaient attendues dans le comportements des dirigeants et managers du Groupe.

Pour les maîtres archers japonais, le but n'est pas la cible. Il faut quinze années d'apprentissage de la technique et le reste de sa vie pour atteindre le « tir pur », c'est l'archer que l'on observe, comment il développe son art.

Son niveau de réflexion intérieure va faire la différence et atteindre la cible deviendra une conséquence.

C'est en travaillant sur le "comment" et les chemins que la "meta culture" évoquée précédemment a pu progressivement se mettre en place au fil des années.

La posture, le mental font la différence. Il est légitime d’exiger que tous ceux qui ont une influence sur leurs collaborateurs soient exemplaires dans leur comportement. Le choix était clair de ne pas axer la réflexion sur des valeurs qui restent plutôt du registre personnel mais sur les attitudes attendues par chaque manager au sein du Groupe.

L'accent a ainsi été mis sur cinq attitudes : parler vrai, voir vrai, avoir le sens du temps, maîtriser la complexité, porter l’ambition au plus haut et une sixième, le sens de l'équipe est apparue plus tard.

Ces six attitudes ont été travaillées, expliquées et largement communiquées. Elles ont fait l'objet de formations et ont été relayées dans de nombreuses publications internes dans l’ensemble du Groupe.

Elles auront surtout été au centre d'une convention réunissant les 800 principaux dirigeants du Groupe à Barcelone, chacune d'entre elles ayant été travaillées par équipe sur place afin de se les approprier et les traduire en actes concrets.

Cette convention a été un vrai starter pour la mise en oeuvre de ces attitudes qui ont pris tout leur sens avec un impact certain sur l’ensemble des principaux leaders.

Je dois confier qu’à ma grande surprise celles-ci ont été relativement faciles à implanter dans le management des pays en les adaptant aux caractéristiques culturelles pour qu’elles restent acceptables et compréhensibles.

5- Prise en compte des attitudes dans l'évaluation annuelle :

C’était un vrai pari de vouloir lier une partie de la rémunération des managers du groupe y compris des hauts dirigeants à l’appréciation de leur comportement au vu des six attitudes précédentes. Tout le monde a joué le jeu, elles étaient en quelque sorte un marqueur de l’existence du Groupe. L’impact était assez fort sur la rémunération variable des managers avec un effet sur la part variable de plus ou moins 20 %. L’insuffisance pouvant être sanctionnée quand elle était constatée, il en allait de l’exemplarité et de la crédibilité de la démarche.

6- Lancement d’une université interne :

Cette université était virtuelle dans des lieux extérieurs dédiés, pilotée en central par une direction spécifique avec trois programmes obligatoires touchant les 800 principaux dirigeants et leaders : management, finance et marketing. Ces trois premiers programmes devaient être suivis en deux ans.

L'université a également porté un ambitieux et original programme de formation international de jeunes dirigeants baptisé UNEXT afin de les préparer à aborder de nouveaux rôles.

Ce programme se déroulait sur une année en étroit partenariat avec les membres du COMEX qui définissaient les sujets à travailler.

Par équipe de trois, les UNEXT disposaient alors d’un budget et d’un crédit de temps mentorés par un dirigeant du Groupe.

Une fois le sujet traité celui-ci était présenté en COMEX par chaque équipe encadrée par un processus strict.

Le COMEX devait décider de la suite à donner aux propositions avec la particularité essentielle que les jeunes managers UNEXT assistaient en « live » aux débats et pouvaient voir et comprendre les attitudes de leurs dirigeants, les jeux de négociation et de pouvoir. Une belle pédagogie pour préparer les transitions vers d’autres niveaux de responsabilités. Tous ceux qui ont suivi ce programme ont accédé à de grands postes de management dans ou hors du Groupe et reconnaissent aujourd'hui que cette opportunité les a fait grandir.

7- La gestion de la mobilité :

La publication des postes à pourvoir a été vite généralisée avec un principe qui aura été très controversé et difficile à faire admettre aux dirigeants : la possibilité de postuler à ces postes sans passer systématiquement par sa hiérarchie. Ce principe était essentiel pour fluidifier les échanges, arrêter de capter les meilleurs aux mêmes endroits et donner envie de se porter candidat sans prendre le risque d’être bloqué par son management.

En quelques années les mouvements annuels entre les entreprises sont passés de cinq la toute première année ! à quelque trois cents en rythme de croisière.

8- L’Enquêtes d'opinion :

Cette enquête appelée "Quel temps fait-il ?" était administrée tous les deux ans. Elle servait de support aux dirigeants pour étayer les actions à mettre en œuvre dans leur politique de ressources humaines.

Lors des visites de Serge Weinberg dans les sociétés du Groupe, les dirigeants devaient présenter leurs plans d’actions pour faire évoluer les différents indicateurs au même titre que leurs enjeux business.

9- Le "Shadow Comex" :

Il s’agit d’une action originale qui visait à réunir pour plusieurs séances autour du président hors la présence de leur hiérarchie une quinzaine de jeunes managers choisis en partenariat avec chaque entreprise mais assez éloignés des sommets qui pouvaient ainsi travailler en direct sur des sujets du Groupe. Ce groupe était renouvelé chaque année.

10- "Entre Nous !" :

Une rencontre annuelle et festive des jeunes diplômés recrutés l'année précédente dans l'ensemble des filiales clôturée parfois dans l'impertinence avec le président et l'ensemble du COMEX ce qui permettait de prendre conscience des comportements et attentes des nouvelles générations.

11- "Agora" :

Tout simplement la journée d'accueil organisée trois fois par an dans un lieu emblématique surtout pour les internationaux : la Tour Eiffel. Agora permettait à tous les managers embauchés dans les différents pays et filiales de mieux comprendre le Groupe et sa culture.

Je dois mentionner que Serge Weinberg n'a jamais raté une session, il y prenait du plaisir, venait conclure et répondre aux questions sans langue de bois.

Il y eut certes bien d'autres actions (succession plan, actionnariat salarié, stock options etc.) mais ces onze programmes ont été clés, ils me paraissent bien exprimer le sens donné à la politique menée pendant une dizaine d’années. Ces programmes ont notamment fondé la marque employeur du Groupe.

Vivre une rupture :

Quand Serge Weinberg quitte la Direction du Groupe, François-Henri Pinault a d’autres ambitions pour PPR qui va devenir KERING, centré sur le Luxe. Il ne souhaite pas poursuivre notre collaboration. Celle-ci aura duré dix ans ce qui est finalement assez exceptionnel au sein d’un groupe du CAC 40.

Ces années auront été les plus passionnantes mais sans aucun doute les plus difficiles à vivre sous la pression d'un rythme soutenu et d’enjeux multiples et complexes.

Pendant dix ans le temps ne m’appartenait plus et la rupture n’en apparaît que plus rude, ce temps va se ralentir mais on n’y est pas prêt. Tout concentré sur la mission, on en oublie les choses essentielles et particulièrement QUI on est.

Il s’agit de ne plus se définir seulement par ce que l’on fait sous l’ombrelle d’une marque et d’un statut. Mais ça, on a tendance à n’en prendre conscience qu’après !

Tout d’un coup vous avez le sentiment de ne plus exister, de ne plus être reconnu, le téléphone ne sonne plus, l’agenda se vide et beaucoup de ceux qui vous parlaient hier ne vous adressent plus la parole.

Il faut du temps, beaucoup de temps pour l’accepter et passer au-delà de son ressenti immédiat, c’est une forme de deuil pour prendre le recul nécessaire et finalement grandir.

Cette rupture aura été une formidable opportunité pour briser mon cercle de confort voire de certitudes et bouger mes lignes. Ce processus prend du temps d’autant que l’on a tendance à conserver les mêmes réflexes et à vouloir remplir son temps en rencontres dont la plupart vont se révéler inutiles à ne recevoir que l’angoisse et la peur des autres à travers les projections qu’ils font sur vous.

Trois questions clés s’imposent : que dois-je conserver d’essentiel qui me fonde ? Que dois-je abandonner ? Que dois-je développer ?

Ainsi il faut travailler modestie, humilité empathie et bienveillance. Rechercher ce qui fait vraiment sens pour soi et définir un nouveau projet de vie. Il faut aller à l'écoute de soi-même, prendre de la distance et de la hauteur et regarder devant sans nostalgie. C’est une période de mue, je dirais même de dépollution salutaire et nécessaire.

Elle aura duré un an, c'est long pendant et court après...

Je n'hésite pas à la qualifier de "quatrième vie" tellement elle fut intense en doutes et remises en cause.

Le monde paritaire

Une nouvelle fois, c’est une rencontre qui sera déterminante pour me convaincre de rejoindre un espace inconnu, à l’image peu attractive et aux règles nouvelles et parfois obscures.

Je décide de m’embarquer dans cette nouvelle vie avec l’objectif d’éprouver mes propres convictions avec des équipes restreintes en faisant moi-même sans intermédiaire.

L’ambition affichée c’est l’évolution et la modernisation de l’entreprise. Le diagnostic montre qu’il faut restaurer la fierté managériale pour agir face à un pouvoir syndical fort.

Le combat fut parfois pénible, lassant voire usant mais riche d’enseignements sur la bêtise, la médiocrité, la motivation, le courage, l’écoute, le compromis et d’une façon plus large toute la palette des comportements humains.

J’ai complété mon expertise du monde syndical, tant celui d'en haut, des conseils que celui d'en bas, le plus intéressant.

Aucun changement ne peut se mettre en oeuvre sans convaincre les partenaires sociaux. J'ai pu observer comment certains d'entre eux ont pu avec le temps revisiter leurs pratiques et même leur culture syndicale grâce au dialogue au départ bien ténu et progressivement plus nourri par une confiance et un respect mutuel.

J'ai gardé en tête que le dialogue c'est l'aptitude à aller alternativement sur le territoire de l'autre pour faire circuler du sens. Cela demande une véritable ouverture et une grande confiance en soi de part et d'autre.

Je crois avoir beaucoup donné, mais aussi beaucoup reçu durant ces deux ans. Les syndicats et les instances représentatives n’étaient pas préparés à travailler avec un DRH issu d’une société du CAC 40, pour eux j’étais une sorte de «diable» dans une entreprise paritaire en quelque sorte !

Combien de fois ais-je entendu qu’êtes vous venu faire ici ? Comme ci une histoire devait être linéaire alors que le voyage est bien souvent plus intéressant que la destination.

Avec toute l’équipe dirigeante et particulièrement la petite équipe ressources humaines, nous avons relevé le défi en parlant toujours franchement et honnêtement en s’efforçant de donner confiance, en restaurant le prix de la parole donnée assortie des actes correspondants permettant de la crédibiliser.

Il y a eu des conflits et des crises mais les lignes ont bougé pas à pas, une forme d’acculturation s’est effectuée. Grace à un investissement important en formation sur mesure de la totalité de la ligne hiérarchique, le management a repris sa capacité à oser et à s’engager dans son rôle d'influence.

Nous avons obtenu en deux ans les premiers résultats du redressement souhaité.

Le seul sujet c’est l’énergie qu’il faut mettre pour soutenir ce mouvement et le plaisir qu’on y prend, j’ai estimé que la balance n’était pas équilibrée et que je prenais trop de risques avec ma santé.

Mes soixante ans arrivant, j'ai jugé plus raisonnable de préparer ma succession et de quitter l’entreprise. C’est à la suite du décès de mon père que j’ai réfléchi sur ce que je voulais vraiment faire de ma vie désormais.

J’en avais fini de me battre quotidiennement avec les représentants du personnels et les syndicats dans des réunions interminables et de m’épuiser dans des dialectiques sans fin avec toutes les parties prenantes.

J’ai décidé de choisir une autre voie, totalement différente des précédentes.

Ce départ n’aura pas été toujours bien compris, une forme d’abandon ais-je entendu. Je suis conscient qu’il est intervenu sans doute trop tôt, il faut beaucoup plus de deux ans pour faire évoluer en profondeur une entreprise et son management bien que souvent les DRH ne résistent maintenant pas plus de deux ou trois ans à la pression financière et à l’immédiateté des enjeux.

Le monde du Conseil :

J’entre maintenant dans ma sixième vie professionnelle en prenant la direction générale d’un groupe de sociétés de conseil en ressources Humaines attiré par la responsabilité d’un centre de profit et la confrontation directe avec un actionnaire ayant investi ses propres ressources dans son affaire.

C’est encore une fois le fruit d’une rencontre forte avec un entrepreneur, fondateur de sa société au caractère bien trempé mais qui allait se révéler dans ses attitudes, totalement différent de ce que j’avais perçu au premier contact.

J’ai souvent repensé à cet adage : les cordonniers seraient ils les plus mal chaussés ? Pourquoi n’avais-je pas décelé dans les signaux faibles des entretiens une personnalité complexe, rude et manipulatrice aux valeurs bien éloignées des miennes, faisant peu de cas des hommes.

J’ai vite fait le constat que toutes ces années à développer la ressource des hommes en entreprise ne me préparaient pas directement à diriger des équipes de consultants pourtant tous dans des domaines que je connaissais mais uniquement du point de vue de l’entreprise et pas du côté de l’offreur de services.

Le choc culturel et professionnel fut important, le monde du consulting est très différent de celui que je connaissais.

Je l’ai pris comme une opportunité d'apprendre et de vivre autrement son métier, de changer son regard, de modifier ses grilles de lecture, d’observer d’autres comportements qui viennent vous déranger.

La variété des situations rencontrées est passionnante, elle m’a donné le gout pour ce métier de conseil. Il faut beaucoup d'écoute, de respect et de bienveillance.

La grande leçon c’est que la carte n'est pas le territoire qu’il faut découvrir avec humilité et patience.

L'expérience est une lanterne qui n'éclaire que celui qui la porte, alors pas de modèles, de recettes ou de projections.

Il faut repartir de ce que l’on observe et pas de ce que l’on croit, des choses vraies, du vécu des gens, de leurs peurs, de leurs envies, de la culture qui les a formatés, des métiers, de l'organisation que l’on doit apprendre à découvrir.

J’aime bien l’image de la chaîne et de la trame pour tisser patiemment des fils parfois improbables d’un projet pour y faire adhérer des hommes, une équipe. Sur le métier à tisser on ne voit pas toujours très bien le motif, il faut avancer pour commencer à le distinguer et seul le recul permet d’apprécier l’œuvre finale.

Ne sera-elle jamais finie ? je crois qu’il faut l’accepter et n’être qu’un élément dans un tout sans rien abandonner de ses valeurs.

Etre DRH, une vocation ?

On dit que la vocation c’est de faire de sa passion son métier, je crois qu’au cours de toutes ces années le gout des autres m’a guidé avec passion et m’a donné l’énergie de poursuivre encore maintenant ce travail de passeur.

La Direction des Ressources Humaines est une fonction première qui ne peut pas être qu’une fonction support, fournisseur de prestations pour les opérationnels.

C’est un vrai métier alors que beaucoup de dirigeants ne le considèrent pas comme tel.

Ce métier s’est d’ailleurs largement transformé et évoluera encore profondément.

Il faudrait s’interroger sur le sens du « R » dans DRH, Relation, Ressource, Respect, Richesse, Reconnaissance, Rayonnement ?

Le terme ressource aura fait beaucoup de mal en transformant les hommes en une simple variable d’ajustement pouvant être stockée ou dé-stockée au gré des plans financiers.

J’aime bien la notion de patrimoine, il faut le gérer avec attention, prudence et vigilance dans le temps avec un souci de transmission pour le faire progresser et grandir.

Il faut du temps, de la vision, de l’engagement et du courage, le vrai, pas de l’incantation à la volée pour faire bien dans les discours.

Cela nous amène à une autre posture, celle d’un locataire temporaire, comme je l’ai dit précédemment d’un passeur et non d'un propriétaire. Celle qui va chercher à comprendre la réalité humaine de son entreprise pour la faire évoluer sous la pression d’enjeux de toute nature : le temps, les résultats, le cours de bourse, l’exigence de l’actionnaire, les marchés, les organisations, le monde globalisé et d’une façon générale la résistance au changement qui dérange.

L’essentiel c’est de ne pas y perdre son âme et de rester debout. J’ai toujours défendu l’alignement gardien-garant, une DRH gardienne des processus et de l’état d’esprit et un management garant dans ses actes au quotidien, capable de les incarner, de les porter et de les mettre en œuvre.

Il y a un énorme travail à faire dans ce sens car les entreprises ont trop souvent un énorme déficit d’exemplarité.

Sans exemplarité, la langue de bois s’installe et les actes ne suivent pas. On doit être ce que l’on exige des autres.

J’ai trop vu les dégâts de ce manque de courage pour prendre les décisions de sanctionner ceux qui n’alignent pas leurs actes à leurs paroles.

Comment voulez vous influencer une équipe si vous ne respectez pas ce principe élémentaire !

Le DRH doit être vigilant sur ce point et soutenu par son patron, il en va de la crédibilité de sa politique.

Le DRH est aussi un être de paradoxes, j’en ai identifié six :

Le premier l’amène à défendre la stratégie globale mais aussi à défendre l’humain au COMEX. Si ce n’est lui, qui le fera ?

La mesure de la performance par des indicateurs chiffrés est aussi déterminante pour faire entendre sa voix. D’ailleurs trop souvent l’entrée dans le COMEX tant attendue par les DRH ne se fait qu’intuitu personae alors que c’est l’ensemble de la fonction qui doit y entrer.

Combien de COMEX inscrivent systématiquement une question de ressources humaines dans leur ordre du jour et acceptent d'y consacrer le débat nécessaire ?

Le deuxième paradoxe tient dans l’articulation des deux mondes, celui d’en haut, des dirigeants et celui d’en bas des salariés, il faut être capable de voyager alternativement dans ces deux mondes souvent en décalage et en incompréhension, le premier marqué par la financiarisation galopante pilotant l’entreprise avec des indicateurs désincarnés, le second ne comprenant pas les décisions prises par leurs dirigeants qu’ils ne voient que très rarement sur le terrain. Des dirigeants qui ne connaissent plus la réalité du contenu de leur travail, les fameux « N+X »!

Tout l’art du DRH c’est bien de mettre ces deux mondes en résonance afin d’éviter la déchirure.

Le troisième paradoxe c’est de travailler à la fois sur le collectif qui a tant manqué ces dernières années mais aussi sur l’individualisation des parcours afin de permettre aux talents de s’exprimer sans parler de l’exigence des politiques de rémunérations sur mesure dans une inflation réduite. Il s’agit d’installer un management équilibré entre collectif et individuel en construisant une cohérence acceptable.

Le quatrième suppose d’être à l’aise à la fois avec la distance et la proximité, le DRH est un être solidaire et solitaire, il faut une bonne dose de réflexion personnelle et de maturité professionnelle pour y parvenir. La solitude peut parfois écraser, le DRH peut être très entouré mais bien seul face à une quantité d’injonctions paradoxales.

Le cinquième paradoxe c’est d’être aussi bien un généraliste qu’un expert spécialiste de techniques parfois très pointues, du moins s’il ne l’est pas il devra s’entourer des meilleurs et de gens parfois plus forts que lui. Il devra savoir parler les différents langages de l’entreprise, comprendre les cultures et les métiers.

Le sixième et dernier paradoxe peut paraître curieux. Le DRH doit à la fois être silencieux en homme de l’ombre isolé dans la confidentialité et le secret mais aussi communicant capable de défendre et d’incarner la politique qu’il mène.

Il est porteur de messages qui peuvent déranger, je dirais même qu’il a un certain devoir d’impertinence pour introduire quand il le faut le point de désordre nécessaire.

Je n’ai pas toujours été à l’aise avec cette exigence de communication mais je me suis rendu compte que très souvent celle-ci devait précéder l’action et pouvait l’orienter.

Donner envie, apporter de l’énergie, importer l’angoisse et exporter de l’enthousiasme est une belle mission sur laquelle tout DRH se doit de réfléchir et s’engager. Il faut y trouver un vrai plaisir et cela doit se voir pour être entendu et crédible.

De nouveaux profils de DRH apparaissent venus de l’opérationnel, c’est une bonne chose dès lors que l’on comprend que DRH c’est un métier à part entière et que l’on se donne le temps d’apprendre, que l’on accepte de briser ses certitudes et de bouger ses attitudes pour apporter un autre regard.

Je reste intimement convaincu que cette fonction clé devrait systématiquement s’inscrire dans le parcours de formation d’un haut dirigeant avant de prendre un rôle de premier rang.

Une utopie ?

Quand les actionnaires prendront-ils le pari d’accueillir dans les conseils des DRH ? Quand nommeront-ils à la présidence d’une de leurs sociétés un dirigeant issu de la fonction Ressources Humaines ?

Quelques rares exemples commencent à émerger, ils sont trop peu nombreux. J’aime à penser que l’entreprise y gagnerait sur le long terme tant en efficacité qu’en création de valeur.

* Échos d’une conférence donnée le 9 Décembre 2008 devant le Club Stratégie de l’Ecole des Mines de Paris
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