En avant !

C’est par ces mots que Pierre de Villiers conclut son second livre, Qu’est-ce qu’un chef ?

Il y a peu je répondais à un texte sur LinkedIn disant que j’avais toujours été gêné par les effets de mode (mode projet, co-développement, bienveillance, bien être, agilité, génération Y, Z etc.) et j’en ai connu de nombreux en quarante ans de métier RH.

Sans parler de ce langage marketing souvent inspiré des neurosciences qui s’est invité depuis plusieurs années pour parler de l’humain quand il faudrait revenir à des mots simples, incarnés et partagés.

J’avais aussi réagi à un texte intitulé « demain les DRH piloteront les transformations » paru dans Les Echos business en répondant mais pourquoi pas dès maintenant ? c’est même une exigence très ancienne que j’avais connu, un peu comme s’il fallait réinventer en permanence des choses déjà largement expérimentées.

Je me posais alors cette question où sont les grands DRH capables d’inspirer, de faire réfléchir, de lutter contre la doxa de la finance, des contrôleurs de gestion et des actionnaires.

Pour quelle trace, quelle empreinte et quelle aura les dirigeants et surtout les DRH d’aujourd’hui se mettent-ils en chemin ?

Le livre de Pierre de Villiers par ses mots du vécu a réveillé bien des convictions, réflexions et engagements encore très forts aujourd’hui chez moi.

J’ai lu ce livre d’une traite alors que le modèle militaire peut être loin des univers que j’ai pratiqués. Ce général parle simplement des hommes, de l’humain au-delà des chiffres, des budgets, des KPI qui rythment désormais la vie du dirigeant.

Comme lui, je crois que l’on ne sait plus trop ce que veut dire le mot humain qui est bien autre chose que son lot d’exigences opérationnelles qu’il faut bien évidemment savoir traiter vu les exigences de plus en plus envahissantes du réglementaire ou des injonctions ministérielles.

Pourtant il ne faut rien lâcher et tenir bon sur l’humain dans cet univers trop souvent désincarné où la relation entre les hommes se fait au mieux par « call » et au pire par mail par souci d’efficacité et de temps quand c’est la rencontre directe et physique qui permet réellement l’échange, l’écoute, l’attention à l’autre, la rencontre des émotions si nécessaire à la compréhension de l’enjeu humain.

Qui rappelle que l’honneur d’un chef c’est aussi de prendre soin de ses hommes, que la première responsabilité d’un collaborateur nommé manager c’est bien une charge d’influence humaine ? Combien de dirigeants, de managers se retrouvent dans cette responsabilité sans en avoir le goût, le talent et les compétences ? Qui sanctionne vraiment des attitudes humaines calamiteuses quand la performance économique et financière est au rendez-vous ?

Un autre ouvrage sous la plume de Guillaume Bigot en 2013 paru chez Fayard : La trahison des chefs avait retenu mon attention, il disait déjà ce que Pierre de Villiers allait développer dans son livre, le commandement se veut un art quand le management se prétend une science.

Diriger des équipes n’a pas grand-chose à voir avec ce prêt à penser et à faire que trop souvent les entreprises fournissent (parfois d’ailleurs même pas) à leurs encadrants.

Diriger nécessite quelques principes, peu, intangibles pour l’ensemble de la ligne hiérarchique qui renvoient chacun à ses responsabilités autour de valeurs et de postures finalement immuables. Le DRH y joue là un rôle essentiel pour tenir un cap dans la durée, soutenir la réflexion, engager les processus de formation, développer le climat de confiance indispensable à l’engagement dans l’action.

Dans des textes précédents j’étais déjà revenu sur mon expérience de DRH du groupe PPR avec le président Serge Weinberg autour des six attitudes demandées aux leaders, celles-ci auront certainement été une des clefs de voute de la politique RH du groupe pendant 10 ans.

Je sais que la mode est à l’agilité mise à toutes les sauces, certaines entreprises (assez peu d’ailleurs) l’explorent dans des organisations plates avec un certain succès mais je continue à m’en méfier.

Je crois que l’on aura du mal à se passer de chefs, ce terme tombé en désuétude et remis en tête dans le livre du général. Le vrai pouvoir ne se partage pas et une équipe mal dirigée court au fiasco. Je n’ai jamais cru à la parité exacte des rôles et responsabilités.

Bien sûr il peut y avoir des dérives comme celle emblématique de Carlos Ghosn qui a sans doute dirigé sans partage refusant d’entendre les signaux faibles et les alertes sur ses comportements hégémoniques, sans parler de tous ces exemples d’enrichissement sans limite ou d’écarts insupportables entre hauts et bas salaires qui se sont amplifiés.

Dans l’ensemble le bon leader fait grandir, il est respecté par son exemplarité, sa capacité notamment à ne pas cloner ses équipes de proximité, ce mal endémique français qui tue l’émergence des talents.

Mon ami Jean Marc Phelippeau www.acolis.net a rédigé d’ailleurs d’excellentes chroniques sur les « Zèbres » où comment déceler et soutenir le talent qui dérange.

Attention à ce que l’humain ne finisse par être rangé dans le placard des accessoires, déjà à l’époque je me battais pour que la fonction RH ne soit pas considérée comme une fonction support mais comme une fonction régalienne et je n’ai jamais eu de goût pour la démarche client-fournisseur qui enferme la fonction au rang d’une prestation quand on attend d’elle un souffle de long terme pour dépasser le quotidien.

Il y a comme une certaine solennité, une dignité et un sens du devoir à être DRH où l’égo devrait avoir peu de place au profit de la plus grande humilité au service de l’intérêt général, de l’équipe et du collectif.

Je sais ce que je dois à la confiance indéfectible de Serge Weinberg et à celle de tous ceux qui ont contribué à leur niveau à la mise en œuvre de la politique RH du groupe. Je m’en suis souvenu très intensément il y a quelques semaines lors de l’inhumation de Caroline qui avait notamment su s’engager avec intelligence dans le développement de l’Université de PPR et de son programme dédié aux leaders.

Il y a peu j’ai accepté de parrainer l’initiative de mes amis Pierre Ferrère et Claire Courroyer dans leur projet « Philo & coaching » www.trans-humans.com qui rappelle l’importance de la culture générale, de la capacité de penser et pas seulement de réfléchir, de prendre le recul et l’ouverture nécessaire avant d’agir. Leur projet crée ainsi un espace rare où le dirigeant va prendre le temps qu’il a bien souvent perdu dans le débordement et le tumulte des réunions, sms, mails et autres injonctions compulsives.

C’est Pierre de Villiers qui cite cette répartie d’un chef afghan lors d’un échange avec lui : « vous avez la montre, nous avons le temps ». Quoi de plus essentiel que d’échapper à l’accélération et à la pression de l’urgence, c’est ce qu’offre leur plongée partagée avec les grands penseurs de l’antiquité trop souvent oubliés et pourtant si essentiels à forger notre pensée.

Je crois que l’on peut encore miser sur l’homme, seule vraie ressource durable pour les organisations, encore faut-il lutter pour faire reconnaître l’enjeu du facteur humain trop souvent rangé comme une technique quand il requiert vision, énergie et courage. C’est le rôle du DRH d’assumer cette tâche souvent inconfortable mais ô combien gratifiante et passionnante, ce livre de Pierre de Villiers contribue à réveiller cette noble exigence. Alors amis DRH, tenez bon et ne lâchez rien sur ces essentiels.

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